Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/12/2010

Paul Ariès, la décroissance et les catholiques

Epaul_20aries.jpgn toute sympathie,

mais pour en finir

avec quelques idées fausses :


 

Dans La Décroissance de décembre, Paul Ariès recense le livre de Joseph Pearce Small is toujours beautiful (éditions L'Homme nouveau) :

<< Small is toujours beautiful, de Joseph Pearce, reprend la thèse que l'économiste Ernst Friedrich Schumacher (1911-1977) développa dans son ouvrage Small is beautiful en 1973 et qui continue toujours, avec raison, de séduire les objecteurs de croissance. On y retrouve la remise en cause du gigantisme avec laquelle on ne peut qu'être d'accord. L'enjeu va cependant bien au delà des phénomènes de « déséconomies » d'échelle. L'auteur enseigne dans une fac catholique américaine. C'est ici que les choses se gâtent. Car si l'on accepte de faire une lecture non religieuse de ce livre, on croise des positions que tous les OC ne partageront pas. L'auteur instrumentalise la thèse de Schumacher au profit de sa foi... plutôt réac. On est très loin de toutes les théologies de la libération. Il fait aussi l'éloge de la thèse de Léon XIII en faveur de la propriété. L'enjeu est aussi de mettre Dieu au centre de tout pour combattre la luxure, l'envie, l'avarice, la gourmandise, l'orgueil, etc. L'auteur fait ainsi l'éloge de la thèse de la subsidiarité, fondement des encycliques papales depuis Léon XIII, mais surtout des papes les plus à droite. Il fait mine d'ignorer que cette thèse est celle utilisée par les courants européistes contre les Etats-nations, dont la grande prêtresse est d'ailleurs... l'épouse de Charles Millon. Joseph Pearce prône finalement l'éloge du travail (Opus) et l'abaissement des loisirs. On partagera donc avec lui son refus de la macrophilie (amour du gigantisme), mais je me méfierai, personnellement, de sa vision de la « décroissance ». L'absence d'âme dans l'économie n'est pas pour moi le résultat de la philosophie humaniste, mais du capitalisme et du productivisme, de droite comme de gauche. >>

 

Paul Ariès n'est pas assez informé. Pearce n'a pas besoin d'« instrumentaliser» Schumacher pour en faire une lecture chrétienne : car Schumacher était un catholique converti ! C'est ce que j'explique dans mon propre livre L'écologie de la Bible à nos jours (L'Oeuvre, 2008) : 

« Les écologistes doivent beaucoup au message chrétien. En ont-ils conscience ? En 1972, un économiste reconnu, Ernst Friedrich Schumacher, publie Small is beautiful (Le Seuil, 1979) : un livre manifeste contre le système titanesque qui s'empare du monde. Il faut une société à la mesure de l'homme, déclare Schumacher : réduire, décentraliser, relocaliser... Comment y parvenir ? En changeant de regard : car tout, même l'économie, dépend du regard que l'on choisit de porter sur la vie. Or Small is beautiful devient un best-seller en Occident dans ces années-là, et le restera durant deux décennies. Ce sera l'un des livres de chevet des Verts. Savent-ils qu'à l'époque où Schumacher composait Small is beautiful, il venait de se convertir au catholicisme après avoir sillonné le monde et découvert les encycliques sociales ? Son livre est un travail d'économiste, mais ce passage aurait dû leur mettre la puce à l'oreille : ''Il ne nous est pas difficile de discerner quel sens ont pour nous les Béatitudes aujourd'hui : Nous sommes des pauvres, non des demi-dieux. Nous avons bien des raisons de pleurer, et l'âge d'or n'est pas pour demain. Nous avons besoin d'une approche tout en douceur, d'un esprit non violent, et de comprendre que seul ce qui reste à l'échelle humaine est bénéfique. Nous devons nous préoccuper de justice et faire prévaloir le droit. Tout cela,- et cela seulement, - nous permettra de devenir des pacifistes...'' La conversion religieuse de Schumacher restera ignorée de beaucoup de Verts, si l'on en juge par la fréquence – sur leurs sites – de l'attaque rituelle contre l'esprit de la Bible, le livre de la Genèse et le fameux ''croissez et multipliez''. Entre les chrétiens et le reste de leurs contemporains (écologistes ou non), il y a beaucoup de malentendus à dissiper. »

 

Les encycliques sociales qui ont converti Schumacher sont celles de Léon XIII, Pie XI, Pie XII et Paul VI ; je ne saurais dire si ce sont des papes « de droite » ou « de gauche » (notions s'appliquant mal à la fonction pontificale), mais chacun desdits papes fut attaqué par les milieux les plus réactionnaires : Léon XIII pour avoir ordonné aux catholiques français le ralliement à la République, Pie XI pour avoir condamné l'Action française, Pie XII pour avoir accepté la théorie scientifique de l'évolution, Paul VI pour avoir été « le pape progressiste » (!).

Enfin, les « théologies de la libération » n'étaient pas ce que croient Ariès et toute la presse : nombre de leurs intellectuels étaient des paléomarxistes sur le plan économique, et ne voyaient donc pas d'objection au productivisme. (C'est l'une des explications du fait que l'écologiste anticapitaliste Marina Silva, au Brésil, ait quitté le catholicisme pour le pentecôtisme). Seuls certains « théologiens de la libération » évoluèrent ensuite vers une vision écologique du monde ; souvent, d'ailleurs, pour une version obscurantiste  et paganisante de l'écologie  - celle dont raffolent les  Nord-Américains, et que combat à juste titre La Décroissance.

 

Paul Ariès tombe dans ce qu'il reproche aux catholiques : mélanger l'analyse et l'opinion.  Lorsqu'il écrit que « tous les OC » (objecteurs de croissance) « ne partageront pas » les positions religieuses de Pearce – qui étaient aussi celles de Schumacher, on vient de le voir - , on a envie de lui demander : quelles positions ?  sur quels sujets ? sur les nouvelles moeurs ? Mais alors là il y a un sérieux problème : les fameuses « nouvelles moeurs » libérales-libertaires, impulsées depuis les années 1990 (années - comme par hasard - du triomphe de l'ultralibéralisme), sont des produits dérivés de la société consumériste. Leur culte actuel est un nouvel opium du peuple, une diversion hypnotique de masse pour détourner de prendre conscience des véritables causes de la catastrophe globale... Si quelqu'un ne devrait pas être dupe de cet opium, c'est bien l'objecteur de croissance [1] ! Ou alors il est incohérent.

Ariès serait-il pour « la luxure, l'envie, l'avarice, la gourmandise, l'orgueil » ? J'en serais surpris, ayant discuté avec lui naguère lors d'un salon du livre ; d'autant que ce sont les pulsions sur lesquelles joue le marketing de masse.

Non, je suppose que cette histoire de péchés se raccorde à la conclusion d'Ariès : « L'absence d'âme dans l'économie n'est pas pour moi le résultat de la philosophie humaniste, mais du capitalisme et du productivisme, de droite comme de gauche. » Il veut dire – qu'il me corrige si je me trompe – que, sans critique du productivisme capitaliste, la critique moralisante de l'économie est une imposture...

 

et sur ce point Ariès a raison. Mais pas au point de pouvoir dire que toute prise en compte des motivations individuelles (philosophiques, éthiques etc) serait illégitime. Ainsi le livre de Benoît XVI qui vient de paraître (La lumière du monde) souligne dans son chapitre 4 (La catastrophe globale) :

« Que pouvons-nous faire ? Face à la catastrophe menaçante, on a partout pris conscience du fait que nous devons prendre des décisions morales. Il y a aussi une conscience plus ou moins marquée d'une responsabilité globale, une conscience du fait que l'éthique ne doit plus concerner seulement son propre groupe ou sa propre nation, mais avoir en vue la terre et tous les humains. 

Il existe ainsi un certain potentiel de connaissance morale. Mais faute de disposition au renoncement, il sera difficile de le traduire en volonté et en actes politiques. Cela devrait être discuté dans le cadre des budgets nationaux et en fin de compte par les individus – la question est alors de savoir quelle charge on fait peser sur les différents groupes.

Il devient ainsi évident qu'au bout du compte la volonté politique ne peut pas être efficace si elle ne communique pas à toute l'humanité [...] une nouvelle conscience morale approfondie, une propension au renoncement qui prenne une forme concrète et devienne aussi un critère de valeur pour l'individu.

La question est donc celle-ci : comment la grande volonté morale que tous approuvent et que tous appellent de leurs voeux peut-elle devenir une décision personnelle ? Car tant que cela ne se produit pas, la politique reste impuissante. Qui peut faire en sorte que cette conscience générale pénètre aussi dans la sphère personnelle ? Seule peut le faire une instance qui touche les consciences, qui est proche de l'individu et n'appelle pas à de simples effets d'annonce. >> [2]

 

Conclusion : autant les catholiques français ont à faire effort pour se « désembourgeoiser », autant les non-catholiques pourraient faire effort pour se « décombiser » ; je veux dire : pour se libérer de clichés cathophobes qui sont loin de correspondre à la réalité. Un petit exemple : la question de la « subsidiarité ». Ariès croit savoir qu'il s'agit d'un concept catholique favorisant la bureaucratie européiste. Or c'est juste le contraire : le concept de « subsidiarité » (ne jamais transférer à l'échelon supérieur ce qui relève de l'échelon inférieur) condamne tout ce que fait depuis trente ans la bureaucratie européiste ! Ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu arnaque : la bureaucratie s'est parée de l'idée de « subsidiarité » pour faire ce que cette idée exclut. L'arnaque vient de Bruxelles, pas du Vatican...

Qu'Ariès ne voie dans cette longue note aucune malveillance à son égard, bien loin de là. Je voulais simplement contribuer à dissiper le quiproquo.

 

_________

[1]  D'autant que ce que je dis là a été dit (plusieurs fois) par... La Décroissance.

[2]  Précisons que Benoît XVI prône aussi un changement (structurel) du "modèle économique global" : il a toujours souligné la nécessité d'agir sur les structures. Simplement il n'oppose pas le structurel et l'individuel, ni l'économique et l'éthique : agir sur les deux lui paraît nécessaire. Les objecteurs de croissance sont eux aussi conscients de cette nécessité. Qu'on soit catholique ou pas, la réalité est la même pour tout le monde. Ajoutons que la fausse monnaie des catho-libéraux, annexe d'un social-libéralisme sans avenir, est en voie de dévalorisation rapide.

 

 

Commentaires

DISCUTER

> C'est la première fois que je vois un dialogue dans cette direction. Très bien, que des catholiques arrêtent de se regarder le nombril en se plaignant d'être incompris, mais expliquent ce qu'il en est au lieu de poser aux mal-aimés.
______

Écrit par : Sophie Mas / | 03/12/2010

GEANTS NULS

> Très intéressant et important, que cette approche de la question écologique par la taille des systèmes, car cela va encore beaucoup plus loin de la pensée dominante que le simple productivisme industriel.
Si les concentrations d'entreprises lui sont liées, d'autres gigantismes se développent,sur d'autres plans, coûteux économiquement et écologiquement par leur fonctionnement lui-même, exemple: les grand forums internationaux type Copenhage ou Cancun, leurs milliers de voyage, leurs dizaines de milliers de nuits d'hôtels et qui ne parviendront jamais à l'efficacité décisionnelle d'un congrès de chefs d'Etat. Ou encore les monstres administratifs qui enserrent les peuples dans des centaines de milliers de pages de règlements, telle l'Union Européenne avec sa monnaie "forte" en déroute.
______

Écrit par : Pierre Huet / | 03/12/2010

DE L'EDITEUR

> L'éditeur de Pearce ne saurait mieux répondre à Paul Ariés. Il se réjouit toutefois qu'un tel débat puisse avoir lieu.
______

Écrit par : Denis Sureau / | 03/12/2010

OBJECTRICE DE CROISSANCE ET CATHOLIQUE

> Cette critique du gigantisme n'est pas sans faire penser aux thèses d'Ivan Illich, père des objecteurs de croissances quoique -parce que ?- catholique (il fut prêtre...), qui fustige l'institutionnalisation des valeurs et met en évidence l'existence de "seuils critiques" et de situations de "monopole radical" qui conduisent à la contre-productivité des organismes portant mis en place pour de louables raisons à l'origine ("la perversion du meilleur engendre le pire") : la voiture qui nous fait perdre du temps, l'école de masse obligatoire qui finit par abêtir, l'hôpital qui rend malade etc...
Tout cela me semble très "catholique" donc, et parfaitement compatible avec l'objection de croissance, y compris sur la question des "nouvelles moeurs", comme l'explique très bien Patrice de Plunkett. Ariès s'est assez moqué, dans La Décroissance, de la dé-différentiation et autres "combats" des tenants libéraux-libertaires des nouvelles moeurs pour stigmatiser ici l'Eglise comme réactionnaire sur ces questions, d'autant, que, comme il a été abondamment démontré au fil des commentaires des billets précédents, cette question n'est quand même pas centrale et surtout assez peu "politique" au final... Car enfin, en quoi puis-je gêner le rayonnement des idées politico-économico-sociales que je partage entièrement, en toute radicalité, avec Ariès, simplement parce que, à titre personnel, je ne prends pas la pilule, que je suis mariée pour le meilleur et le pire avec un seul homme, que je n'envisage même pas en rêves le recours à l'avortement et que je fais confiance au Magistère sur les questions internes à l'Eglise, telles que celles relatives au mariage des prêtres et à l'homosexualité ?
Ariès serait-il, dans cet article, pris en flagrant délit de "politiquement correct" (désir de se "démarquer" des catholiques qui commencent à s'intéresser à ses idées, et pour cause, puisqu'elles vont dans le sens des propos de Benoit XVI...) ?
Vraiment, il est difficile d'être objectrice de croissance catholique, les réactions de mon entourage catholique "bourgeois" et politique "combiste" me le rappellent chaque jour ! Et si cette solitude/souffrance est certainement l'indice que nous sommes sur le bon chemin, il n'en est pas moins revigorant de trouver régulièrement quelques échos à ses convictions les plus fortes sur ce blog...
Alors merci encore à P de Plunkett ainsi qu'à ses commentateurs !
______

Écrit par : blanche / | 03/12/2010

L'EPOQUE QUI VIENT

> Certes Paul Ariès et d'autres objecteurs de croissance peuvent alléguer l'existence des catholiques "sociaux-libéraux" genre Semaines sociales, dont Lasida est un exemple. Mais resterait à prouver qu'ils représentent le noyau vrai de la pensée sociale catholique. Ce n'est pas le cas. Ils représentent la version catholique de la "sociale-trahison" des années 1990, qui a accouché de syndicats collabos, d'un PS centriste, de Verts capitalistes etc. Mais tout ça n'est que du carton-pâte, déjà ramolli et prêt à s'affaisser. L'époque qui vient sera trop pluvieuse pour des gens pareils. Souhaitons au catholicisme de produire rapidement une avant-garde au niveau des nouveaux problèmes ! sinon il s'affaissera avec le reste.
______

Écrit par : Girolamo / | 03/12/2010

PROGRESSER

> Votre attitude, rétablir la vérité sans tenir rigueur ni vous crisper, est je pense la plus ajustée. Sans attendre de signe extérieur de rapprochement: nous catholiques "déclarés" sommes tellement plus libres ! Et quand bien même la raison est obscurcie par le matraquage anti-catho des puissances de ce monde, le coeur lui sait reconnaître les amis authentiques. Bonne chance à M. Ariès, merci à lui et à vous cher P.P. de nous donner l'occasion de progresser dans la compréhension de notre propre culture et sagesse en la matière.
______

Écrit par : Anne Josnin / | 03/12/2010

DECROISSANCE

> En accord presque parfait avec Blanche qui vous présentez comme catholique et décroissante et béni sois tu Paul Ariès que j'ai entendu parler avec beaucoup de justesse ce matin dans l'émission Terre à Terre interrogé par Ruth Stégassy. Le propos était sur l'oubli d'un questionnement sérieux sur la mort dans notre société malgré le paradoxe de son omniprésence dans les médias.
______

Écrit par : Antoine Cathelineau / | 29/01/2011

PAUL ARIÈS

> Passionnant Paul Ariès ! S'il pouvait se réconcilier avec le Christ... !!!
J'ai été très étonné qu'il n'aborde pas le sujet de l'euthanasie (et autres atteintes à la vie humaine), pourtant d'actualité, et collant parfaitement avec le sujet abordé. Même succinctement... juste une petite phrase... non, rien.
J'aimerais vraiment connaître son avis sur ces questions, et savoir ainsi jusqu'où va la cohérence de sa pensée.
______

Écrit par : PMalo/ | 30/01/2011

Les commentaires sont fermés.